Beloved de Toni Morrison

Difficile de résumer ce roman dense et bouleversant qui allie fantastique et réalité.

L'histoire se passe au XIX° siècle, peu après la guerre de sécession, dans un coin de l'Ohio.
Sethe est une jeune femme qui a vécu avec sa belle mère, Baby Suggs, ses deux fils, Howard et Buglar et sa fille Denver. Leur maison est hantée par le fantôme d'une petite fille, son bébé, qu'elle a tuée par amour, pour lui éviter la déshumanisation, l'esclavage. Elle a fait graver sur la tombe de ce bébé : "Beloved"
Un ancien esclave, Paul D , qui a vécu dans la même plantation qu'elle et connu Halle, son mari, père de ses enfants (qui a disparu lors de leur fuite) arrive et va bouleverser la vie de Sethe: elle va se souvenir peu à peu de son passé de femme esclave.
Surgit enfin Beloved : une très belle jeune fille, très attachante, elle change la vie de Denver et de Sethe - mais quel lien a-t-elle avec la famille de Sethe ?

La force de ce roman vient essentiellement du fait qu'il décrit les conditions de vie des esclaves et anciens esclaves. La question de l'esclavage est abordée par les yeux des esclaves et non du point de vue du Blanc, dominant. De ce fait l'auteur traite les séquelles physiques et psychologiques de ces êtres traités pendant des années comme des animaux. Pour une majorité de Blancs à cette époque, les Noirs ne sont pas des hommes.
Ce roman traite aussi de l'incompréhension des rapports entre les Blancs et leurs esclaves, des rapports de domination: même quand les Blancs paraissent "bons" , les esclaves se méfient .

"Le pire – le bien pire – était que là-bas dehors, il y avait les Blancs, et comment savoir à quoi s’en tenir avec eux ? Sethe disait, d’après la bouche, et quelquefois les mains. Grand-Mère Baby disait qu’il n’y avait pas de défense – ils pouvaient à volonté vous considérer comme une proie, changer d’idée comme de chemise, et même quand ils pensaient se comporter bien, c’était à cent lieues de ce que font les vrais humains."


De plus, on est tenu en haleine car les secrets et les vérités n'apparaissent qu'à petites doses ,on devine certains évènements qui sont à peine évoqués, la construction elle-même du roman est originale: nombreux flashbacks . Enfin le style est magnifique, les descriptions superbes souvent empreintes de poésie ; ainsi un esclave fuyant vers le nord, l'autre lui conseille de suivre le printemps :

« Il courut donc de cornouiller en pêcher en fleur. Quand ils s’éclaircirent, il piqua sur les fleurs de cerisier, puis celles des magnolias, des cerisiers gommeux, des pacaniers, des noyers, et des figuiers de Barbarie. Enfin, il atteignit un champ de pommiers dont les fleurs se transformaient tout juste en minuscules nœuds de fruits. Le printemps montait vers le Nord en flânant, mais il lui fallait courir comme un dératé pour le garder comme compagnon de route ».

Beaucoup de violence dans ce livre mais aussi une beauté littéraire inoubliable.

Beloved a reçu le prix Pulitzer 1988, l'une des plus hautes consécrations littéraires américaines .

Commentaires

1. Le dimanche 20 septembre 2009, 13:53 par Akynou

Pour moi, c'est le seul roman qui m'ai fait touché du doigt ce que pouvait être l'abomination de l'esclavage, le ressenti. J'en ai été longuement choquée.
Je suis fan de Toni Morrison, dont j'ai lu tout ce qui est sorti en France. Le dernier est pas mal non plus :-)