la maison du retour, de Jean Paul KAUFFMAN

"Les Landes, la campagne normande ou les îles Fortunées: il fallait bien se poser quelque part. Je n'ai pas choisi la maison dans la forêt. Elle s'est proposée à moi, par défaut, à une époque confuse de mon existence. Choix hâtif auquel je suis lié à jamais ."

Témoignage émouvant sur un retour à la vie, à la liberté , d'un homme profondément touché par ses 3 années de détention au Liban. Chaque étape de la rénovation de cette maison est l'occasion d'une plongée dans la nature, dans la vie, une renaissance des sens : la musique, les odeurs, les silences , le goût, les paysages  : tous ces petits riens que l'on ne perçoit pas nécessairement dans notre vie de tous les jours sont présents et appréciés, goutés, savourés et pour moi savoureux .

Kauffmann a trouvé dans cette maison un vieux livre abandonné " Les géorgiques" de Virgile et en fait une petite lecture quotidienne : il y trouve des évidences qui correspondent à sa situation de redécouverte de la nature

 "Connais donc la nature et règle toi sur elle" conseille Virgile . Je n'ai pas abandonné la lecture des Géorgiques que je lis chaque soir avec application . Pourquoi Virgile écrit-il de telles évidences ?  Observer la nature et s'y conformer a toujours été la conduite de l'homme depuis qu'il a été chassé du jardin d' Éden. Et pourtant ces truismes détiennent une densité et une beauté surprenantes.  D'ailleurs nombre de ces vers ont pris valeur de proverbes. "Omnia vincit amor"(L'amour triomphe de tout); "Fugit irreparabile tempus" (Le temps fuit et sans retour); "Non omnia possumus omnes" (À chacun ses talents ); "Trahit sua quemque voluptas" (Tous les goûts sont dans la nature) À la longue, ces expressions sont devenues des lieux communs."

et il évoque aussi l'importance de la lecture comme source de liberté lors de sa captivité :

"quelques bouquins m'étaient parvenus dans ma geôle. Jamais je n'ai dévoré avec autant d'intensité. J'oubliais la cellule. Enfoui au fond de ma lecture, produisant en moi-même un autre texte. Jouissance rare, elle équivalait à une remise en liberté provisoire .
L'homme libre ne peut lire avec une telle concentration. (.....) Une certaine disponibilité au paysage, au silence, le sentiment de dissipation que procure l'inertie estivale ou la vacuité, bref l'absence de contrainte n'égalera jamais la tension d'esprit que crée l'enfermement. La liberté nous émiette.  Enchaîné, j'ai connu à la lueur d'une bougie l'adhésion absolue au texte, la fusion intégrale aux signes qui le composaient - la question du sens, je le répète, était secondaire ."

Et après une  conversation avec son architecte et ami , Urbain , quand les travaux sont terminés et qu'il en est presque déçu, car cette restauration , ce provisoire, la présence des ouvriers lui convenaient bien :

"Je ne vais pas lui expliquer que j'ai appris à attendre et surtout à différer par nécessité, j'espérais que le sort me soit moins hostile. Je suis en effet devenu un amateur d'espérance. Le jeu doit se pratiquer sans appuyer, presque à la légère . L'espérance reste au fond de la boîte de Pandore après que tous les maux se sont répandus sur la terre.  Il ne faut surtout pas la brusquer. Comme on le sait l'amateur sait prendre son temps. J'ai abusé de ce privilège et acquis sans doute de mauvaises habitudes. Le définitif me perturbe.
Je me souviens d'un poème de Chénier, La Jeune Captive,appris au collège. Il y était question des "ailes de l'espérance".  Longtemps j'ai cru qu'il s'agissait d'une métaphore laborieuse sans réelle signification jusqu'au jour où je me suis aperçu que l'espérance était non seulement la reine de l'évasion mais qu'elle pouvait voler très haut, franchir même le mur du son - il est vrai qu'on est aussi à la merci de la descente en feuille morte.  Ce qu'on espère est toujours plus beau que ce que l'on conquiert. " 

Je ne vais pas citer tous les passages qui m'ont touchée : ce serait recopier presque tout le bouquin ! Par contre je le relirai volontiers .

Sur l' expérience qu'il a vécue , ces quelques mots m'interpellent :

"J'ai été libéré il y a neuf mois. J'ai quarante-cinq ans. Parfois je me dis que j'en ai trop vu. Peut-être ai-je abattu toutes mes cartes. Ce n'est pas que je me sente vieux, au contraire, ce retour est une seconde naissance, non, j'ai l'impression d'avoir, en trois années, épuisé une vie d'homme.J'ai vécu trop tôt ma vieillesse, expérimentant tous les tourments et la hantise de la fin qui accompagnent cet âge.

Il nous fait partager aussi son regard sur le monde et son optimisme:

"Je refuse toutefois de faire chorus avec les prophètes de malheur qui expliquent que la situation ne cesse d'empirer . Je ne les ai pas attendus pour me rendre compte que les quatre cavaliers de l'Apocalypse se rapprochent: la domination, la guerre, la pestilence et la mort. Je les ai vus naguère patrouiller non loin de moi. Il s'avancent de plus en plus près.  Ils ne sont plus en reconnaissance mais en terrain conquis.(...) 
Tout cela est vrai et terrifiant.  Cependant mon être profond refuse d'envisager la victoire des amoureux de la mort . Par-delà la crainte fait écho un accord fondamental qui me lie au monde et à la nature. En dépit de ces menaces, mon existence est portée plus que jamais par le désir de vivre, de sentir de regarder (...) Aux Tilleuls, j'ai pris conscience de cette évidence : être vivant suscitait en moi une joie invincible."

J'ai beaucoup aimé ce récit simple, fluide : Kauffmann nous fait partager ses passions et nous entraîne dans ce retour à la vie; une fois le livre fermé je me suis, comme lui, sentie ressourcée !

La maison du retour, Jean-Paul Kauffmann,  Nil Editions, 2007

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